On était en arts plastiques.
Il était 12:12.
Le 12/12/12/12:12, plus exactement.
On se regardait solennellement en se disant que ce serait la dernière fois de nos vies qu'une chose comme ça allait arriver.
On cherchait dans cette minute quelque chose d'extraordinaire.
Mais il n'y avait rien.
Il ne s'est rien passé.
Pas une explosion de comètes ou une pluie de kinders.
C'était comme d'habitude.
Alors on a rigolé et on est retourné à nos gribouillages.
On parlait d'une voie vive et clair, avec des petits rires par ci par là. Comme d'habitude.
Et là, C. a regardé son portable.
C. a regardé son portable. Il a arrêté de rire. Son visage s'est fermé. Comme celles des personnes qui apprennent un truc grave, ou alors la tête des adultes dans les films américains, quand elles apprennent que elles ont payés leurs factures en retard et seront expulsés de leurs maisons.
Un peu comme ça.
Là on a arrêté de rire. On lui a demandé ce qui se passait.
Il a soupiré, avec un air grave, comme dans les films américains quand le personnage va dire un truc horrible du genre "les aliens ont prit le laboratoire en otage."
Mais il a pas dit ça.
il nous a dit ça:"Le père de K. est mort. Ce matin".
Le-père-de-K-est-mort-ce-matin.
Quel mot horrible et tranchant que le mot "mort".
C'était trop fort, trop profond, trop violent.
Et il l'a employé avec une dureté inébranlable.
J'ai baissé les yeux.
"Mort". Non ce n'est pas possible.
On s'est tous regardé, et comme des idiots on a demandé si c'était une blague.
C. s'est énervé, s'est levé, et a dit que les gens qui faisaient des blagues comme ça étaient de beaux imbéciles. On s'est excusé et D. a fondu en larmes.
D. est la meilleure amie de K. , sa soeur de l'âme, un bidule dans le genre.
K. c'est une de mes amies. On se connaît depuis 4 ans. On est assez proches et j'arrive tout le temps à la faire rire, et des fois j'ai l'impression que son regard trahit quelque chose un sentiment qu'elle ne veut pas dévoiler. K. est adorable mais un peu mystérieuse.
Et elle a perdu son père. Ce matin.
Ce matin.
Son père est mort.
Il est plus là. Il ne le sera plus jamais.
On a regardé D. avec le même air grave que C.
On s'est regardé.
On a secoué la tête, on a soupiré.
D. sanglotait.
La cloche a sonné, on est parti.
On répétait comme des poissons rouges "putain putain putain".
D. a versé toutes les larmes de son corps.
Je n'en pouvais plus, je les retenais ces larmes. Ces larmes de scrogneugneu, je les sentais, elles étaient dans ma gorge, et puis tout le monde regardait par terre, était abattus.
Je les ais lâchés. J'ai pleuré.
Trois de mes amis ont accourues vers moi.
Trois autres étaient derrière moi, me tenaient la main, me parlaient.
Y'en avait ils étaient encore à l'étage du haut à traîner la patte, d'autre avec D., et eux avec moi.
Ils m'ont pris dans leur bras, ils avaient les larmes aux yeux, mais ils ont essayé de me faire rire, de me faire sourire, de me faire arrêter de pleurer, de s'empêcher de pleurer en même temps.
On sentait qu'un fil nous unissait, encore plus fort que d'habitude.
Il manquait juste la petite musique mélo-dramatique, et cela aurait brossé le parfait tableau.
J'avais déjà vu le père de K., une fois. Il paraissait assez drôle et doux, mais je ne lui ais jamais parlé.
Je ne savais pas comment il était.
Si c'était un type bien ou pas.
Mais j'ai pleuré.
On a tous pleuré intérieurement, ou alors extérieuerement. On s'est pris dans les bras, on s'est consolé, on était unis, on était triste, on était abbatus.
On s'est tous dit "quand je verais mon père je lui sauterais au cou."
Parce que K. ne pourra plus jamais faire ça.
Parce que ce matin en partant du travail, il a emboutti un poteau. Et il est parti au ciel.
Et K. n'a plus de père. C'est une mort prématuré.
Il ne pourra pas la tenir par le bras le jour de son mariage, la fâcher quand elle raménera des mauvaises notes, la faire rire quand elle sera triste.
Et tout ça parce qu'il a emboutti un fichu poteau de merde.
Et qu'il est mort sur le coup.
Et que ce matin c'était le dernière fois de sa vie qu'elle le voyait.
C'était trop tot.
Même si dans la vie on est né pour mourir, c'était trop tot.
K. n'a même pas commencé sa vie, et elle l'a commencera sans son père.
On ne peut que verser des larmes et serrer notre père.
On a laissé rouler les larmes sur nos joues, on s'est pris dans nos bras encore, on a pensé à elle. Très fort.
On a pensé aussi à notre père. Chacun de nous.
Même si c'était un acte horriblement égoiste, on a pensé à eux.
Alors K. ... j'aimerais t'envoyer tout le courage du monde, même si ça servirait à rien car ton père ne reviendra pas, c'est la triste vérité. Je pourrais t'envoyer tout les pansements du monde que ton coeur n'arrêtera pas de saigner. K. on pense à toi.
Et papa, ne part pas.
Et s'il vous plait, vous tous. Oui vous. Prenez soin de vous.
Miss petits mots